Les quarks ont 50 ans

Le modèle standard de la physique des particules élémentaires a commencé à prendre forme pendant les années 1960 avec la théorie unifiée des forces nucléaire faible et électromagnétique, ainsi que le modèle des quarks pour les hadrons. On fête cette année les 50 ans de la découverte de ce modèle par deux physiciens, George Zweig et Murray Gell-Mann. Zweig était en poste au Cern lorsqu’il a publié ses idées dans un article daté du 17 janvier 1964.

On peut affirmer rétrospectivement que l’année 1964 a été un tournant dans la physique théorique des particules élémentaires. Le mécanisme de Brout-Englert-Higgs, expliquant l’origine des masses des particules élémentaires, est proposé à ce moment-là indépendamment par Robert Brout en compagnie de François Englert, et aussi par Peter Higgs. Au cours de la même année, c’est la théorie des quarks qui est avancée par Murray Gell-Mann, collègue de Richard Feynman à Caltech, et indépendamment par un tout jeune thésard de Feynman, George Zweig, alors en poste au Cern.

Le début des années 1960 est une période de grande confusion dans le domaine de la physique des hautes énergies. La mise en service d’accélérateurs puissants après la seconde guerre mondiale a permis aux physiciens de découvrir un zoo de particules nouvelles au comportement étrange, comme les mésons K. On commence à soupçonner fortement que c’est le signe qu’elles ne sont pas élémentaires, comme ce fut le cas avec la découverte des atomes. Simultanément, les physiciens commencent aussi à douter sérieusement de la pertinence de la théorie quantique des champs pour décrire les interactions nucléaires fortes entre ces particules que l’on appelle des hadrons.

Comme la classification périodique des éléments a permis à la théorie atomique de progresser, on tente de regrouper les particules en familles selon leur masse, leur spin, leur charge et d’autres propriétés comme la façon dont elles se désintègrent. Gell-Mann et Zweig, comme d’autres chercheurs, utilisent pour cela les méthodes de la théorie des groupes et mobilisent la notion de symétrie, dont la puissance est extrême en mécanique quantique. Dès 1961, Gell-Man avait d’ailleurs proposé une classification de certains hadrons, des baryons et des mésons basée sur un groupe de Lie, SU(3). En 1962, il s’en était servi pour prédire l’existence d’une nouvelle particule, qui fut effectivement observée en 1964, un baryon oméga, plus précisément Ω. Un peu par dérision, Gell-Mann avait appelée sa théorie la « voie octuple », une allusion au bouddhisme.

Georges Zweig

George Zweig en visite au détecteur Alice, dédié à l’étude du plasma de quarks-gluons. Le physicien a posé les bases de la théorie des quarks en 1964. (Source : Panagiotis Charitos)

La même année, Gell-Mann se rend compte que sa classification implique naturellement que les hadrons sont composés de particules plus élémentaires. Elles doivent être au nombre de trois et posséder une charge électrique fractionnaire positive ou négative valant 2/3 et 1/3 de la charge électrique élémentaire. Il les nomme des « quarks » en référence à un passage du roman Finnegans Wake de James Joyce.

George Zweig a la même idée, mais lui baptise ses particules des « as » (aces en anglais). Ce nom n’aura pas de succès, mais Zweig pousse sa théorie plus loin que Gell-Mann et montre le premier comment rendre compte de plusieurs propriétés inexpliquées des hadrons au moyen de combinaisons des trois nouvelles particules que Gell-Mann et lui ont introduites.

Dans un premier temps, leurs collègues sont sceptiques et doutent de l’existence de ces nouvelles particules pour plusieurs raisons, qui pousseront d’ailleurs Oscar Wallace Greenberg, Moo-Young Han et Yoichiro Nambu à postuler une nouvelle propriété des quarks, que l’on appelle de nos jours la charge de couleur. Pendant plusieurs années, la majorité des physiciens ne verra dans la théorie des quarks qu’une méthode mathématique pour classifier les hadrons. La notion de charge électrique fractionnaire semblait bizarre, et surtout on n’observait pas de quarks à l’état libre dans les collisions de particules élémentaires malgré la montée en énergie des faisceaux de particules.

Les choses vont commencer à changer à partir de 1968, avec les expériences menées avec l’accélérateur linéaire de Stanford (Slac), aux États-Unis. Richard Taylor, Jerome Friedman et Henry Way Kendall bombardaient alors les protons et les neutrons avec des faisceaux d’électrons comme si ces particules étaient étudiées avec une sorte de supermicroscope électronique. Les données obtenues indiquaient, comme le montrèrent James Bjorken et Richard Feynman, que tout se passait comme si les électrons rebondissaient sur des parties dures à l’intérieur des nucléons que Feynman baptisa « partons ».

La révolution des théories de jauge au début des années 1970 avec Gerard ‘t Hooft et les premières indications fortes en faveur du modèle unifié des interactions électromagnétique et nucléaire faible de Glashow-Salam-Weinberg vont contribuer à crédibiliser le modèle des quarks. Sheldon Glashow, Jean Iliopoulos, et Luciano Maiani reconnaissent alors la nécessité de l’introduction d’un quatrième type de quarks. En 1972, Makoto Kobayashi et Toshihide Maskawa, généralisant le travail de Nicola Cabbibo, prédisent l’existence de six quarks.

Wilczek, Hooft & Gross

De gauche à droite, les prix Nobel de physique Frank Wilczek, Gerard ‘t Hooft et David Gross. Les travaux théoriques des trois scientifiques ont fortement assis la théorie des quarks et la QCD. (Source : Fridger Schrempp)

En 1973, Gross, Politzer et Wilczek découvrent aussi la liberté asymptotique dans le cadre de la théorie des forces nucléaires fortes proposée l’année précédente par Harald Fritzsch et Murray Gell-Mann. Avec le phénomène de confinement, elle permet de donner un début d’explication à l’inexistence de quarks isolés dans les expériences. Les deux physiciens l’avaient nommée la chromodynamique quantique (QCD ou Quantum Chromodynamics en anglais) en référence aux analogues à la charge électrique portés par les quarks, la couleur. La QCD est une théorie des champs de Yang-Mills comme l’est celle de la force électrofaible de Glashow-Salam-Weinberg. Elle a prédit l’existence de huit cousins des photons, mais qui correspondent à l’interaction nucléaire forte, que Fritzsch et Gell-Mann ont baptisés des gluons.

La théorie des quarks et la QCD font encore l’objet de recherches théoriques et expérimentales poussées de nos jours. On n’a pas encore percé tous leurs secrets, même en utilisant les ordinateurs à la façon du prix Nobel Kenneth Wilson. En témoignent la découverte de hadrons avec quatre quarks et les travaux pour expliquer la masse des quarks avec les couplages de Yukawa et le boson de Brout-Englert-Higgs.

Source : Futura-Sciences

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